Le ministère de la Culture vient de dévoiler le rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles relatif au « financement de la projection numérique en salle de cinéma ». Les deux entités, scrutant les coûts et les économies liées à la projection numérique en salle pour les exploitants et les distributeurs, préconisent de laisser le principe des VPF arriver à son terme sans le remplacer par un nouvel instrument, notamment en raison de la situation financière actuelle de la distribution.
En septembre 2016, Frédérique Bredin annonçait, à l’occasion du 71e Congrès de la FNCF, le lancement d’un audit économique et technique relatif aux coûts de maintenance du matériel de projection numérique. Objectif : collecter des données et des témoignages permettant d’objectiver les effets de la transition numérique, et ainsi réfléchir aux éventuelles suites à donner ou non au système des VPF, censé prendre fin au plus tard le 31 décembre 2021.
En janvier, le ministre de l’Économie et des Finances ainsi que la ministre de la Culture et de la Communication ont finalement confié cette mission à l’Inspection générale des finances (IGF) et à l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) autour de quatre axes : établir un bilan de l’équipement numérique du parc français, anticiper des conséquences économiques de l’entretien et du renouvellement de cet équipement, esquisser les scénarios possibles pour l’avenir et évaluer l’impact éventuel de la transition numérique sur la programmation.
Pour cela, les deux entités ont conduit une série d’entretiens avec les différents acteurs du secteur (exploitants, distributeurs, producteurs, tiers-collecteurs et investisseurs, équipementiers…), tout en s’appuyant sur les données collectées pour réaliser une analyse micro-économique de la transition numérique au sein des deux professions, et sur les contributions de plusieurs pays européens.
« Pas de nouvel instrument » pour remplacer les VPF
Et la conclusion centrale de ce rapport, publié sur le site du ministère de la Culture ce mardi 8 août, est claire : « en dépit des inquiétudes rapportées à la mission par plusieurs interlocuteurs, celle-ci préconise de laisser le dispositif des contributions numériques aller à son terme comme prévu par la loi de 2010 et de ne pas créer de nouvel instrument pour le remplacer. […] Il n’y a pas lieu de remettre en cause la fin naturelle des contributions numériques […]. » Une question plus que jamais d’actualité, l’IGF et l’Igac relevant que plus d’une centaine de salles ont déjà arrêté de collecter les VPF. De plus, « l’essentiel du parc arrêtera la collecte des contributions numériques entre le début de l’année 2017 et la fin 2018 ».
Pour étayer cette analyse, la mission souligne d’abord que « la transition numérique a bénéficié aux distributeurs comme aux exploitants ». Pour les premiers, cela s’est traduit par la réduction drastique des coûts de tirage des copies. Pour les seconds, par des économies en personnels (« très importantes dans la grande exploitation », mais moindres dans la petite et la moyenne exploitation) et sur les coûts de transport des copies, qui « devraient encore se poursuivre dans les prochaines années ». Sans oublier « une projection avec une qualité accrue par rapport au 35 mm », « l’augmentation du nombre de séances » induite par « la souplesse dans la programmation permise par le numérique », le développement de la multiprogrammation ou encore la « diversification des contenus », tel que le hors film. Pour autant, l’IGF et l’Igac considèrent qu’il est « impossible d’isoler de telles recettes supplémentaires liées à la transition numérique ». Ils jugent en tout cas que « dans l’exploitation, les gains réalisés ont été bien plus importants qu’anticipés ».
Entretien et renouvellement du matériel « pas hors de portée des exploitants »
Aussi, les deux entités estiment qu’il « résulte des analyses de la mission que l’entretien et le renouvellement du matériel de projection numérique ne justifient pas de relancer une intervention publique spécifique ». Et les deux services d’assurer que « malgré les inquiétudes qu’ils suscitent, l’entretien et le renouvellement du matériel (…) – d’une robustesse presque inattendue – (…) ne paraissent pas hors de portée des exploitants », d’autant que ce dernier « interviendra en pratique bien après leur amortissement financier ». Le rapport juge d’ailleurs que la « vague du renouvellement devrait s’étaler sur plus d’une décennie », de 2019 à 2029.
Concernant les coûts de maintenance et d’entretien, régulièrement pointés du doigt par les exploitants depuis le passage au numérique, les inspections générales des finances et des affaires culturelles considèrent qu’ils « doivent être relativisés ». D’abord, les prestations offertes dans les contrats de maintenance « apparaissent raisonnables au regard du prix ». Ensuite, « l’usure des matériels informatiques et électroniques est intimement liée à la poussière dans les cabines, c’est-à-dire à l’aménagement et à l’entretien de ces dernières ». Enfin, si « les coûts des consommables demeurent élevés », ils « offrent des performances accrues par rapport aux consommables sous l’empire du 35mm ». Aussi, « le risque essentiel est celui d’une course aux innovations technologiques dans les salles », même si « la mission a constaté qu’aucune nouvelle forme ne semble en passe de s’imposer à toutes les salles ».
Surtout, le rapport estime, au vu de la « bonne santé financière des établissements d’exploitation » – « solidité de la fréquentation », parc de salles en croissance constante, « amélioration de la situation financière du secteur » de l’exploitation entre 2009 et 2015, possibilité pour les exploitants « d’abaisser le taux de location » le cas échéant -, que « la grande majorité des exploitants ne devrait pas avoir de difficulté à trouver des sources de financement. Et ce d’autant plus que « le soutien public au secteur est important, qualitativement comme quantitativement », entre aide automatique augmentant « mécaniquement avec la fréquentation » (de 56 M€ de droits générés en 2007 à 75M€ en 2016), aide sélective à la rénovation et la modernisation des salles toujours importante (9 M€ par an entre 2011 et 2016) et aides des collectivités territoriales (21 M€ d’aides régionales à l’exploitation en 2015), dixit le rapport.
La distribution « en fragilité financière »
Parallèlement, l’IGF et l’IGAC rappellent que « l’activité de distribution est structurellement risquée et très concurrentielle », tout en soulignant « la fragilité financière actuelle des sociétés de distribution ». Et de citer notamment « l’augmentation du nombre annuel de procédures de défaillance » (en moyenne cinq par an depuis 2008) ou le fait que « seule une part minoritaire des films réalisant moins de 200 000 entrées parviennent à dégager des recettes pour le distributeur après avoir couvert leurs charges de distribution », selon les chiffres de la mission. Du coup, « le maintien d’un transfert financier ad hoc de la distribution vers l’exploitation pèserait sur l’activité déjà risquée des distributeurs ». Autrement dit, « la situation financière actuelle des distributeurs plaide pour la fin des contributions numériques, sachant que de nombreux dispositifs publics existent déjà pour venir en aide aux exploitants qui en auraient besoin ». En outre, au regard de la proposition d’IPN (Investissement permanent numérique) formulée par la FNCF lors du dernier Congrès des exploitants, prenant la forme d’un fonds de péréquation destiné à financer la maintenance et le rééquipement à moyen terme, la mission s’interroge sur « la capacité d’absorption à long terme d’une nouvelle contribution par le secteur ».
Cinq préconisations
D’où, parmi les cinq propositions formulées par la mission, celle de « laisser les contributions numériques arriver à échéance comme prévu, sans les remplacer par un autre dispositif ad hoc« . Une proposition appuyée par une comparaison avec ses voisins européens, puisque « aucun état européen ne semble à ce jour envisager de mesure nouvelle pour accompagner l’entretien ou le renouvellement des projecteurs numériques ». A la lumière de leurs observations, l’IGF et l’IGAC émettent quatre autres préconisations :
- Encourager « l’information et la formation des exploitants sur les équipements de projection » via la CST, l’ADRC et les organisations professionnelles
- Mettre en place au CNC « une veille sur la situation économique des entreprises d’exploitation et mobiliser, le cas échéant, les différents dispositifs publics préexistants en cas de difficultés financières parmi les petites exploitations ». Selon la mission, les besoins des salles qui auraient de réelles difficultés à financer l’entretien et le renouvellement de leur équipement « ne dépasserai[en]t pas plus de 3M€ par an en moyenne ».
- « Traiter séparément les questions de programmation de celles de financement de l’équipement numérique « . Cet élément était déjà présent dans la loi du 30 septembre 2010, mais pas réellement pris en compte dans les faits. L’IGF et l’IGAC considèrent ainsi que, « contrairement à certaines perceptions, la transition numérique n’a pas bouleversé la dimension des plans de sortie des films ». Elles mettent notamment en exergue la légère diminution de l’exposition moyenne des films en première semaine (141 points de diffusion entre 2006 et 2008, 137 entre 2013 et 2015) et la stabilité des nombre de films déployés sur plus de 700 salles en sortie nationale (15 par an en moyenne). Surtout, « l’analyse par le CNC de la programmation des films dans les salles qui ne bénéficient pas (ou plus) de contributions numériques démontre (…) l’absence d’effet sur la programmation », via la comparaison du nombre de sorties et de la programmation d’établissements ne perçevant pas ou plus de VPF avec des cinémas de même typologie (en termes d’écrans et d’agglomération) ouverts avant 2013 – les salles homologuées après le 31 décembre 2012 ne peuvent pas toucher de contributions numériques.
- « Pérenniser le comité de concertation numérique, dont les travaux pourront être élargis au suivi des conditions de programmation, sur la base des analyses produites par l’observatoire de la diffusion du CNC. »